L'assouplissement quantitatif
La planche à billets d'une économie financiarisée et mondialisée

Mai 2011

Quelle marge de manouvre reste-t-il à la Banque Centrale lorsque tous les moyens d'action dits conventionnels ont été épuisés mais que la situation économique tarde à montrer des signes d'amélioration, voire se dégrade davantage ? Dans ce cas de figure, le banquier central est appelé à faire preuve d'une imagination qui n'a de limite que son cadre institutionnel, et les détails des textes officiels qui définissent les mandats des Banques Centrales contiennent bien souvent des alinéas dont l'interprétation permet à la politique monétaire d'emprunter des chemins insoupçonnables par temps économiques calmes. Ces dernières années, et plus particulièrement à l'occasion de la crise économique qui a suivi le marasme financier de la fin de l'année 2008, la politique dite d'assouplissement quantitatif, en anglais, quantitative easing, a été largement mise en ouvre pour faire face à une conjoncture économique caractérisée, dans les pays développés, par des taux d'intérêts au plancher, des taux de chômage qui avoisinent les deux chiffres, des taux de croissance encore bien timides et des taux d'inflation qui ont dépassé le niveau de 2%, généralement considéré comme synonyme d'une stabilité à long terme. En quoi consiste l'assouplissement quantitatif, quels en sont les avantages, les limites, et surtout comment procèdent les banques centrales pour garder, en permanence, le contrôle de cet outil non conventionnel par excellence ? Voilà quelques unes des questions auxquelles cet article va tenter de répondre.
 

Rappel sur la politique monétaire et ses outils conventionnels

D'un point de vue général, l'objet de la politique monétaire est d'assurer la valeur de la monnaie à long terme. La valeur de la monnaie s'entend ici sous deux angles, la valeur extérieure de la monnaie et son pendant intérieur.
 

  • La valeur extérieure d'une monnaie correspond à la capacité offerte à ses détenteurs d'acquérir des biens et des services en dehors de leur espace monétaire. Cette valeur s'exprime à travers les taux de change de la monnaie en question vis-à-vis des autres monnaies. En essayant de déterminer un taux de change optimal, la politique monétaire ouvre, in fine, au bien-être économique de sa zone d'influence. En effet, pour une économique tournée vers les exportations, un taux de change peu élevé est un réel facteur de compétitivité. En revanche, dans une économie qui recourt de façon importante aux importations, un taux de change élevé permet de garantir un niveau de prix bas aux produits importés. Pour la politique monétaire, assurer la valeur extérieure de la monnaie revient donc à trouver un taux de change optimal, c'est-à-dire un taux de change qui garantit simultanément la compétitivité des entreprises exportatrices et le pouvoir d'achat des résidents vis-à-vis des produits importés.
  • La valeur intérieure d'une monnaie correspond à la capacité offerte à ses détenteurs d'acquérir des biens et des services dans leur espace monétaire. Cette valeur se mesure par le niveau général des prix et son évolution dans le temps. La politique monétaire doit assurer, à long terme, une certaine stabilité du niveau général des prix, ou plus exactement une évolution de ce niveau en cohérence avec l'évolution générale de l'économie.

Confrontées aux exigences du triangle des incompatibilités, les grandes économies modernes ont dû assigner à leurs autorités monétaires, à travers les textes institutionnels qui régissent leurs missions, des objectifs prioritairement tournés vers la garantie de la valeur intérieure de la monnaie. En effet, dans tous les pays industrialisés, en Amérique, en Europe et en Asie, le mandat institutionnel de la Banque Centrale comporte immanquablement un objectif de stabilité des prix. En fonction des pays, cet objectif principal est couplé ou complété avec un autre relatif à la croissance économique. Néanmoins, cette orientation de la politique monétaire vers la composante intérieure de la valeur de la monnaie n'empêche pas les autorités monétaires d'intervenir, de façon structurelle ou conjoncturelle, sur les marchés des changes afin d'agir sur la valeur extérieure de leur monnaie.

Afin d'atteindre leur objectif de stabilité des prix à long terme, les autorités monétaires ont défini des outils, dits conventionnels, auxquels elles recourent par temps économiques normaux. Ces outils sont :

  1. Les taux d'intérêts à court terme : aussi appelés taux directeurs de la banque centrale, c'est le principal outil utilisé par les autorités monétaires pour atteindre les objectifs qui leur sont institutionnellement fixés.
    • Aux Etats-Unis, connu sous le nom de taux des fonds fédéraux (federal funds rate), ce taux est celui auquel les établissements de dépôt se prêtent mutuellement, au jour le jour, leurs réserves excédentaires, c'est-à-dire la part des fonds déposés sur leurs comptes banque centrale au-delà des montants exigés (voir réserves obligatoires). Pour piloter la valeur de ce taux, la Réserve Fédérale en fixe un objectif et procède ensuite à des opérations dites d'Open Market, c'est-à-dire l'achat ou la vente de titres émis par le Trésor et les agences fédérales, pour atteindre l'objectif de taux fixé.
    • Dans la zone euro, ce taux correspond à celui appliqué par la Banque Centrale Européenne (BCE) lors des opérations principales de refinancement. Il s'agit d'opérations hebdomadaires au cours desquelles la BCE, par l'intermédiaire des banques centrales nationales, achète ou vend, à des contreparties éligibles, des actifs éligibles dans le cadre d'accords de pension. La maturité de ces opérations est d'une semaine.
  2. Le taux d'escompte : C'est le taux auquel les établissements bancaires empruntent des fonds auprès des facilités d'escompte de la banque centrale.
    • Aux Etats-Unis, les banques commerciales et les établissements de dépôt présentant une situation financière solide contractent des prêts au jour le jour entièrement garantis auprès de la fenêtre d'escompte de leur Réserve Fédérale régionale.
    • Dans la zone euro, afin de répondre à leurs besoins temporaires de refinancement, les contreparties éligibles peuvent utiliser la facilité de prêt marginal de leur banque centrale nationale pour obtenir, contre des actifs éligibles, des liquidités à 24 heures au taux fixé par la BCE.
  3. Les réserves obligatoires : Aussi bien aux Etats-Unis que dans la zone euro, les établissements de dépôt sont tenus de conserver des réserves dans leurs comptes banque centrale. Le montant des réserves exigé de chaque établissement dépend de sa situation bilancielle. Ce montant est calculé par application d'un ratio fixé par la banque centrale aux engagements à court terme de l'établissement (dépôts à vue, dépôts à terme d'une durée inférieure ou égale à deux ans, dépôts remboursables avec un préavis inférieur ou égal à deux ans, titres de créance d'une durée initiale inférieure ou égale à deux ans).

Tels sont les outils utilisés, en situation économique normale, pour atteindre les objectifs de la politique monétaire. Malheureusement, l'histoire économique est parsemée de crises dont les conditions d'occurrence et l'acuité déterminent la capacité des autorités monétaires à y faire face par l'unique usage des outils habituels. Quelquefois, la gravité et la portée de la crise obligent les autorités à aller jusqu'aux limites des outils conventionnels et à mettre en ouvre des moyens baroques pour parvenir à en juguler les effets. La grande dépression des années 1930 et la crise financière de la fin de la dernière décennie peuvent être classées dans cette catégorie. Il est communément admis que la seconde guerre mondiale a été l'ultime réparateur des conséquences de la première. Heureusement pour le genre humain, il n'est pas toujours nécessaire de recourir à des solutions à la Pyrrhus pour venir à bout des difficultés économiques les plus graves. La débâcle financière de l'automne 2008 a été l'occasion, pour les banquiers centraux des pays développés, de faire preuve de la plus grande imagination pour éviter l'effondrement pur et simple du système financier mondial. Ils ont dû aller bien au-delà des limites des outils conventionnels.

 

L'assouplissement quantitatif à l'oeuvre

Le 19 mars 2001, face à une économie qui continue de se détériorer malgré des mesures fiscales largement expansionnistes et des taux directeurs quasi nuls depuis plus de deux ans, la Banque du Japon annonce sa décision d'augmenter le niveau de ses achats d'obligations d'Etat habituellement fixé à 400 milliards de yen par mois.

Sous l'effet des mesures mises ouvre par la Réserve Fédérale en réponse à la crise économique et financière de la fin de la dernière décennie, le bilan de la banque centrale américaine est passé de 900 milliards de dollars en septembre 2008 à 2700 milliards de dollars à la fin du mois d'avril 2011. Compte tenu de l'état d'avancement du programme d'achat de 600 milliards de dollars de titres d'Etat avant la fin du deuxième trimestre 2011, la taille de ce bilan s'accroîtra probablement encore de quelques dizaines de milliards de dollars avant la fin du mois de juin 2011. 

Après avoir fait passer son principal taux d'intérêts de 5% à 0.5%, grâce à des diminutions systématiques lors de chacune de ses réunions mensuelles de politique monétaire entre octobre 2008 et mars 2009, le comité de politique monétaire de la Banque d'Angleterre a décidé, le 5 mars 2009, de démarrer un programme d'achat d'actifs d'un montant total de 75 milliards de livres. Par des augmentations successives, la taille du portefeuille d'actifs ainsi détenus par la Banque, majoritairement composé de bons du trésor anglais, a été portée à 200 milliards de livres en décembre 2009. Ce programme a été financé exclusivement par l'émission monétaire.

Telles sont quelques unes des applications récentes du mécanisme d'assouplissement quantitatif. D'après la Banque d'Angleterre, l'assouplissement quantitatif est un processus par lequel la banque centrale achète des actifs financiers, principalement des obligations émises par l'Etat ou par des entreprises privées. Les achats d'obligations d'Etat ont pour but d'accroître rapidement la quantité de monnaie disponible dans le système économique, tandis que ceux ciblés vers la dette d'entreprises privées visent à assouplir les conditions de financement des agents économiques privés. Olivier Loisiel et Jean-Stéphane Mésonnier de la Banque de France  ont une définition plus technique. Pour ces auteurs, l'assouplissement quantitatif est une extension volontariste du passif de la banque centrale. C'est un mécanisme par lequel le banquier central abandonne explicitement la politique des taux d'intérêts et annonce une cible quantitative du niveau souhaité des réserves excédentaires des banques commerciales. L'objectif principal des opérations d'achats de titres par la banque centrale étant, toujours selon les deux économistes de la Banque de France, de saturer la demande de monnaie centrale du système bancaire au-delà du seuil nécessaire au maintien du taux d'intérêts à très court terme à son niveau plancher.

Le démarrage de la politique d'assouplissement quantitatif au Japon en mars 2001 faisait suite à deux années consécutives de déflation et une politique de taux d'intérêts nul initiée le 12 février 1999. Cette politique s'appuyait sur trois piliers précis :

i. Le changement de l'objectif opérationnel de la politique monétaire : de son taux d'intérêts à court terme habituel, celui-ci serait désormais tourné vers le niveau des réserves excédentaires des établissements financiers auprès de la Banque du Japon (BoJ), cette dernière s'engageant à fournir les liquidités nécessaires au maintien de ce niveau amplement au-dessus du seuil des réserves obligatoires. 

ii. L'engagement de la Banque du Japon à continuer de fournir des niveaux suffisants de liquidités jusqu'à ce que l'indice des prix à la consommation soit stabilisé, voire ait repris le chemin de la hausse sur une base annuelle.

iii. L'augmentation des achats d'obligations à long terme de l'Etat japonais par la Banque du Japon jusqu'à une certaine taille de son portefeuille, tant que celle-ci jugera ces achats nécessaires à la provision de liquidités.

L'assouplissement quantitatif japonais a débuté en mars 2001 par la fixation de l'objectif de 5 000 milliards de yen pour les fonds détenus par les établissements financiers dans leurs comptes banque centrale, alors que le seuil des réserves obligatoires n'était que 4 000 milliards de yen. Au vu de la poursuite de la détérioration de l'économie nippone, ce plafond a progressivement été rehaussé pour finalement atteindre, en janvier 2004, les 35 000 milliards de yen, niveau qu'il conservera jusqu'en mars 2006, date officielle de l'arrêt de la politique d'assouplissement quantitatif au Japon. De son côté, le taux d'intérêts au jour le jour a touché le plancher de 0,001%, bien en deçà du chiffre de 0,02% atteint entre 1999 et 2000. Afin d'atteindre l'objectif de réserves excédentaires fixé, la BOJ a procédé à des augmentations graduelles de ses achats d'obligations d'Etat à long terme. Leur montant est en effet passé de 400 milliards de yen mensuels au début de l'opération, à 1200 milliards de yen en octobre 2002. Ces achats ont eu pour conséquence de porter la base monétaire  du pays à 117 000 milliards de yen à la fin de l'année 2005. Coté actif du bilan, les avoirs en titres d'Etat de la BOJ atteignaient les 63 000 milliards de yen.
En novembre 2005, l'inflation japonaise est retournée en terrain positif, l'indice des prix à la consommation enregistrant même, pour le premier trimestre 2006, une croissance de 0,5%. Anticipant le maintien de l'évolution positive des prix sur une base annuelle, la Banque du Japon a décidé, le 9 mars 2006, de mettre fin à la politique d'assouplissement quantitatif. Toutefois, la politique de taux d'intérêts nul démarrée en 1999 a été poursuivie.

Le 16 décembre 2008, le comité de politique monétaire de la Réserve Fédérale américaine (FOMC) a fixé l'objectif du taux des fonds dans la fourchette de [0% ; 0,25%], ce qui rendait impossible tout assouplissement supplémentaire de sa politique monétaire par le levier du taux directeur. Face à l'intensification de la crise financière, notamment l'augmentation des tensions sur le marché du crédit, et à sa propagation à l'ensemble de la sphère économique, la Réserve Fédérale a mis sur pied de nombreux nouveaux instruments dont le principal point commun est qu'ils ouvrent tous à l'accroissement de l'actif de son bilan. Ces instruments peuvent être regroupés en trois grandes catégories :

  1. Les outils de financement à court terme destinés aux institutions financières ; on y trouve :
    • Le Term Auction Facility (TAF): ouvert le 12 décembre 2007, ce guichet administré par la Réserve Fédérale de New York a permis à la Fed d'octroyer des fonds, par un processus d'enchères, aux établissements ayant habituellement accès à son guichet d'escompte. Par ce canal, la Fed a accordé des prêts d'un montant total de plus de 3 818 milliards de dollars, pour des maturités variant entre 13 et 85 jours. La dernière enchère de ce programme s'est tenue le 8 mars 2010. 
    • Le Term Securities Lending Facility (TSLF): Mis en place le 11 mars 2008, ce guichet permettait aux primary dealers  d'emprunter des titres émis par le Trésor américain, pour une durée d'un mois, en contrepartie de titres acceptés en garantie dans les autres programmes de la Réserve Fédérale. Jusqu'au 1er février 2010, date de la fermeture du guichet, plus de 2 000 milliards de dollars de valeur faciale des titres ont ainsi été prêtés.
    • Le Primary Dealer Credit Facility (PDCF): Entre le 17 mars 2008 et le 1er février 2010, ce guichet octroyait des prêts au jour le jour aux primary dealers contre des garanties incluant tous les types d'instruments acceptés dans les accords classiques de rachat de titres . Plus de 8950 milliards de dollars ont été prêtés par ce biais.
  2. Les outils destinés à alimenter directement le marché du crédit sans obligatoirement passer par le secteur bancaire ; ce sont :
    • Le Commercial Paper Funding Facility (CPFF) : Il s'agit d'une SARL, la CPFF LLC, créée le 7 octobre 2008 par la Fed. Cette entreprise avait pour rôle d'acheter le papier commercial émis par les entreprises éligibles. Ces achats étaient financés par des prêts, d'une maturité de 3 mois, obtenus auprès de la Réserve Fédérale de New-York. Entre le 27 octobre 2008 et le 1er février 2010, date de sa cessation d'activités, la CPFF LLC a ainsi obtenu un total de 739 milliards de dollars de prêt pour ses opérations.
    • Le Asset-Backed Commercial Paper Money Market Mutual Fund Liquidity Facility (ABCP MMMF LF): Créé le 22 septembre 2008, ce guichet avait pour rôle de prêter des fonds aux établissements de dépôt et aux holdings bancaires afin de financer leurs achats de papier commercial garanti par des actifs de haute qualité auprès des Money Market Mutual Funds. Ce guichet a terminé ses opérations le 1er février 2010 après avoir octroyé plus de 217 milliards de dollars de prêts.
    • Le Money Market Investor Funding Facility (MMIFF): créé le 21 octobre 2008, ce guichet complétait le rôle du ABCP MMMF LF en prêtant directement des fonds aux Money Market Mutual Funds pour les aider à faire face aux demandes croissantes de rachat de leurs clients, et surtout redonner confiance à ces derniers dans la qualité et la viabilité des fonds. Ce guichet a été clôturé le 30 octobre 2009 sans avoir octroyé le moindre prêt.
  3. L'achat de titres de dette à long terme alimentant directement le portefeuille de la Réserve Fédérale :
    • Le 25 novembre 2008, la Réserve Fédérale américaine a initié un programme d'achats des obligations émises ou assurées par les entreprises Freddie Mac, Fannie Mae et Ginnie Mae, toutes trois sponsorisées par le gouvernement américain (GSE ), pour soutenir le marché immobilier. Dans le cadre de ce programme, la Fed a acquis pour 100 milliards de dollars d'obligations émises par les GSE et 500 milliards de dollars de titres garantis par elles. Après révision, ce programme a permis à la Fed d'acquérir, entre le 5 janvier 2009 et 31 mars 2010, un total de 1250 milliards de dollars d'obligations assises sur des dettes hypothécaires (MBS ).
    • En continuation du programme d'achat de MBS, la Réserve Fédérale a décidé, le 10 août 2010, de maintenir constant le niveau de son portefeuille obligataire en réinvestissant les remboursements en capital des MBS dans des achats d'obligations émises par le Trésor.
    • Le 3 novembre 2010, le comité de politique monétaire de la Réserve Fédérale a lancé un nouveau programme d'achat de titres du Trésor. Dans le cadre de ce dernier programme, baptisé QE2 , la Fed va acquérir pour 600 milliards de dollars d'obligations d'Etat avant la fin du mois de juin 2011.

Le 5 mars 2009, en plus de la fixation à 0,5% de son principal taux d'intérêt, la Banque d'Angleterre a décidé d'injecter directement de la monnaie dans l'économie britannique afin d'atteindre son objectif de taux d'inflation de 2%. A cette occasion, la quantité de monnaie disponible a remplacé le prix de l'argent en tant que principal instrument de la politique monétaire. Après de multiples révisions, le montant total des achats d'obligations publiques et privées est passé de 75 milliards de livres, le niveau initial, à 200 milliards en novembre 2009, date de la dernière révision et de la complétion du programme. Depuis cette période, la Banque d'Angleterre a maintenu ses avoirs obligataires au même niveau, soit, selon les données publiées le 19 mai 2011, 198,275 milliards de livres sterling d'obligations d'Etat et 892 millions de livres sterling de titres privés, tous financés par de la création monétaire.

De l'efficacité de l'assouplissement quantitatif

En juillet 2006, la Banque du Japon a publié l'étude N° 06-E-10  dont voici les principales conclusions au sujet de l'impact sur les variables macroéconomiques et financières de la politique d'assouplissement quantitatif menée entre 2001 et 2006 :
a) D'une façon générale, la politique d'assouplissement quantitatif a permis de détendre les conditions de financement des institutions financières sur les marchés de capitaux, évitant ainsi la résurgence de la crise de liquidités qui a frappé ces marchés pendant la période 1997-1998. En effet, pendant la phase d'assouplissement quantitatif, la dispersion observée dans les taux à l'émission des certificats de dépôt négociables (CDN) des grandes banques est tombée en dessous de son niveau d'octobre 1997, période pendant laquelle les différences de solvabilité entre les établissements bancaires n'étaient plus prises en compte. De plus, l'observation des écarts  de taux des CDN entre les années 1997 et 2005 montre que la pente de la courbe des taux a commencé à s'aplatir en 1999, au démarrage de la politique de taux d'intérêts nul. Cette tendance s'est maintenue au-delà de 2001 avec le lancement de la politique d'assouplissement quantitatif, pour atteindre une forme complètement plate en 2004-2005, indiquant ainsi l'absence totale de prise en compte des notes de crédit individuelles des établissements.
b) Lorsque l'on évalue les effets de la politique d'assouplissement quantitatif sur la situation économique générale du pays, deux aspects importants sont relevés :

  1. La politique générale d'octroi de crédit des banques avant et pendant l'assouplissement quantitatif n'a pas montré de changement majeur. En effet, les efforts menés par la Banque du Japon pour détendre les conditions de financement des établissements financiers n'ont pas rendu l'attitude de ces derniers plus accommodante vis-à-vis des agents économiques privés quant à l'octroi de crédit.
  2. Lorsque l'on observe les indicateurs macroéconomiques tels que l'indice des prix à la consommation, la production industrielle, le taux de change du yen, le rendement des bonds d'Etat à 10 ans et l'évolution de la politique monétaire, les premiers facteurs ont montré une réactivité plus importante aux décisions de politique monétaire avant la période d'assouplissement quantitatif. La conclusion générale tirée de cette observation est que la contrainte de borne inférieure infranchissable du taux directeur de la Banque Centrale, l'érosion de la fonction d'intermédiation bancaire et l'aggravation des problèmes bilanciels des entreprises privées ont limité les effets de la politique d'assouplissement quantitatif sur la situation macroéconomique du pays.

c) L'effet le plus important constaté par l'étude est l'ancrage des anticipations des agents économiques sur la trajectoire future des taux d'intérêts à court terme. En effet, l'engagement conditionnel de la Banque du Japon à maintenir son principal taux d'intérêt le plus proche possible de zéro et l'augmentation du niveau des réserves excédentaires des institutions financières qui a conforté cet engagement ont permis de renforcer la confiance des investisseurs quant à la trajectoire future des taux à court terme dans un avenir prévisible.


Pour être tout à fait précis dans les termes, il est important de souligner que, à la place du vocable d' « assouplissement quantitatif » communément utilisé, la Réserve Fédérale Américaine qualifie d' «assouplissement du crédit » la politique non conventionnelle qu'elle a mise en place pour atténuer l'ampleur des conséquences économiques de la crise financière de 2007-2008. Selon Ben Bernanke, le président de la Réserve Fédérale, la différence se situe dans la priorité affichée par l'une et l'autre approche. En effet, bien que les deux politiques impliquent une augmentation du bilan de la Banque Centrale, la principale priorité de l'assouplissement quantitatif est le niveau des réserves excédentaires, tandis que pour l'assouplissement du crédit, l'accent est mis sur la nature des titres de crédit et les prêts qui composent l'actif du bilan et à l'incidence qu'a cette composition sur les conditions de crédit des entreprises et des ménages. C'est donc à cette aune que doit être évaluée l'efficacité de la politique menée par la Banque Centrale américaine. Ainsi, à la question de savoir si les achats massifs de titres par la Réserve Fédérale ont assoupli les conditions d'obtention de crédit des entreprises et des ménages, Diana Hancock et Wayne Passmore  répondent par l'affirmative. Les deux auteurs soulignent que l'annonce du programme d'achat de titres assis sur les prêts hypothécaires a fait baisser les taux d'intérêt de ces crédits de 85 points de base  entre le 25 novembre 2008 et le 31 décembre 2008, alors même que les achats effectifs n'avaient pas encore commencé. Ils estiment par ailleurs que la prime de risque intégrée dans ces produits a globalement baissé de 50 points de base dès le démarrage des achats de titres par la Fed. D'une façon générale, le programme d'achats de titres de la Fed a permis de rétablir un fonctionnement quasi normal du marché du crédit hypothécaire, avec un marché secondaire suffisamment robuste pour que les emprunteurs soient financés, in fine, par les marchés de capitaux, et pas exclusivement par les banques qui, dans ce cas, appliqueraient des taux bien plus élevés sur le marché primaire.
Néanmoins, la deuxième phase de la politique d'assouplissement, plus connue sous le sigle de QE2 , annoncée le 3 novembre 2010, est plus proche des politiques d'assouplissement quantitatif menées par le Japon et l'Angleterre. Bien qu'elle soit encore en cours, et que par conséquent aucune réelle analyse sérieuse d'impact ne puisse encore être menée, quelques constatations sont tout de même déjà possibles. Le but principal du programme d'achats de titres du Trésor, à hauteur de 600 milliards de dollars jusqu'à la fin du mois de juin 2011, était de juguler les risques de déflation qui pesaient sur l'économie américaine à la fin de l'année 2010. La Fed a ainsi entrepris une nouvelle injection massive de liquidité afin de stimuler la demande et donc de rapprocher le taux d'inflation de son niveau cible de 2%. La trajectoire observée du niveau sous-jacent  des prix tend à témoigner de la réussite, jusque là, de la démarche. En effet, comme le montre le graphique de la Figure 3, l'inflation sous-jacente qui avoisinait les 0,5% en octobre 2010 est repartie à la hausse pour enregistrer, en avril 2011, un plus haut sur 12 mois de 1,3%.

Bien qu'une réelle analyse de l'impact du programme d'achat massif de titres d'Etat par la Banque d'Angleterre entre mars 2009 et décembre 2009 sur l'économie britannique en général reste à mener, l'étude conduite par Michael Joyce, Ana Lasaosa, Ibrahim Stevens et Matthew Tong  sur l'impact de ce programme sur les marchés financiers apporte de réels enseignements sur l'efficacité de la mesure. D'après ces auteurs, les rendements des obligations du Trésor anglais affichaient, en réponse aux opérations exceptionnelles de la Banque Centrale, un niveau inférieur, de 100 points de base, à ce qu'il aurait été en l'absence du programme, la principale réaction des investisseurs étant un mouvement de rééquilibrage des portefeuilles. De plus, bien qu'il soit difficile d'attribuer la totalité de l'augmentation des prix de ces actifs à la seule politique d'assouplissement quantitatif, les remontées observées dans les prix des autres classes d'actifs pendant la période d'observation suggèrent néanmoins un réel impact de celle-ci. A l'issue de cette étude, il faudra voir si l'augmentation du prix des actifs a eu l'effet richesse au sein des ménages britanniques comme on pourrait s'y attendre.

 

 

Conclusion

« L'une des conclusions de mon étude de la Grande Dépression est que l'on a tendance à considérer que l'orthodoxie est une stratégie sûre. Mais la stratégie doit dépendre de la situation. En période de crise, l'orthodoxie peut s'avérer être une très mauvaise stratégie». Cette déclaration de Ben Bernanke, le président de la Réserve Fédérale Américaine, peut, à elle seule, expliquer l'absence de complexe dont ont fait preuve les banquiers centraux, malgré les nombreuses critiques dont ils ont fait l'objet, pour recourir à des politiques non conventionnelles massives afin d'atténuer les conséquences de la crise, et surtout de stopper le développement de celle-ci. Mais on ne saurait évoquer les instruments non conventionnels de la politique monétaire moderne sans citer celui qui est sans doute le plus efficace de tous, à savoir la communication des autorités monétaires. En effet, le temps est révolu où les banques centrales gardaient secrètes toutes leurs décisions, y compris la valeur du taux directeur. Aujourd'hui, les banquiers centraux, à l'image du reste de la société, sont entrés dans l'ère de la transparence généralisée. Et ce n'est pas Jean-Claude Trichet, le président de la Banque Centrale Européenne, selon qui la politique monétaire, pour être efficace, se doit d'être lisible et prévisible, qui contredira cet avis. Si, comme nous l'avons vu précédemment, les programmes d'assouplissement quantitatif ont, en général, atteint leurs objectifs, c'est aussi parce que les autorités monétaires ont apporté une attention particulière à la communication qui a entouré leurs différentes actions. Aussi bien au Japon, en Grande Bretagne, qu'aux Etats Unis, les agents économiques étaient constamment tenus informés de la trajectoire future des taux d'intérêt, du niveau des réserves excédentaires ou de celui des actifs détenus par la Banque Centrale. Cette transparence et le respect, par les banquiers centraux, des engagements pris ont pour unique objet d'ancrer solidement les anticipations des agents économiques sur la trajectoire future de la politique monétaire, et par voie de conséquence, sur celle de la situation économique à moyen terme.
Si, comme le montre en général cet article, les différents programmes d'assouplissement quantitatif ont plutôt été efficaces, en tout cas à court terme, le véritable enjeu pour la suite se situe dans les stratégies de sortie. Dans deux  des trois exemples évoqués, si les achats d'actifs par les banques centrales sont aujourd'hui terminés, les actifs ainsi acquis sont toujours présents en grande quantité dans leurs portefeuilles et, comme l'a souligné Ben Bernanke à plusieurs reprises, la quantité de titres d'Etat détenue par la Banque Centrale est plus importante, pour l'efficacité générale de la mesure, que les actes d'achat proprement dits. A l'image des nombreuses critiques qui ont été faites à Alan Greespan, le prédécesseur de Ben Bernanke à la tête de la banque centrale américaine, dont la politique accommodante menée pour sortir des chocs de l'explosion de la bulle des valeurs internet et des attentats du 11 septembre 2001 est jugée par de nombreux observateurs comme la principale cause de la crise immobilière de 2007, l'histoire économique regorge d'exemples de mesures qui, jugées positives à court terme, sont ensuite critiquées, de façon véhémente, par ceux-là même qui les encensaient auparavant. Il est donc normal que, pour la suite, les autorités monétaires veillent à ce que les injections massives de liquidités, qui ont permis d'éviter la déflation et de relancer la machine économique, ne soient pas ensuite génératrices d'une inflation trop importante. De la même façon, une suppression inadéquate de ces liquidités pourrait aussi engendrer un ralentissement brutal d'économies dont les signes de reprise ne sont encore que bourgeonnants. On le voit, la tâche du banquier central d'une économie mondialisée et financiarisée est loin d'être de tout repos.

 
 
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